Claude Saint-Léger (1897 - 1944)
- de sa naissance à l’armistice de 1918

Contexte historique

Claude Saint-Léger naît le 24 mars 1897, au 188 ter rue Royale à Lille, d’André Saint-Léger et Marguerite Delemer. Lille est alors la capitale industrielle du Nord. La ville et ses environs sont des centres de production textile et métallurgique importants, et la famille Saint-Léger y vit avec un certain niveau de confort, son père André étant un industriel reconnu. L’Europe à la fin du XIXᵉ siècle est marquée par des tensions croissantes entre grandes puissances ; en France, la mémoire de la défaite de 1870 et la réorganisation militaire influencent fortement l’esprit patriotique des jeunes générations.

En août 1914, la Première Guerre mondiale éclate. L’Allemagne envahit rapidement le Nord de la France, et Lille est occupée dès septembre. L’occupation allemande implique un contrôle strict de l’administration, de la police et du territoire : les jeunes hommes pouvaient être enrôlés de force ou envoyés travailler en Allemagne, les civils subissaient restrictions et surveillances constantes. C’est dans ce contexte que Claude, âgé de 18 ans, décide de quitter Lille pour rejoindre la France libre et s’engager dans l’armée.

La jeunesse et les influences de Claude

Claude grandit dans un environnement cultivé. Ses lettres et carnets intimes témoignent d’une profonde réflexion sur la vie, la beauté, et le devoir. Dès 17 ans, il tient un journal personnel pour « se connaître mieux » et lutter contre ce qu’il appelle sa « mollesse ». Il fréquente le lycée et obtient son baccalauréat, montrant un goût marqué pour la littérature et la réflexion philosophique.

« J’ai décidé hier une fois de plus de tenir une sorte de petit journal de ma vie intime… Ainsi, je me connaîtrai mieux. Et cette connaissance approfondie de moi-même me viendra certainement en aide dans la lutte que je vais engager plus vive que jamais contre ma mollesse. » (22 mai 1914, Claude)

Ses lectures avant son départ sont révélatrices de son état d’esprit, et notamment son esprit patriotique. Il ne faut pas oublier que sa mère, Marguerite Delemer, a fait beaucoup d’espionnage durant la 1ère guerre mondiale et qu’elle a été mise en captivité pour cela :

L’évasion de Lille

Ces lectures, associées à un profond sens du devoir familial et national, expliquent son choix de « se porter volontaire ». Dans le langage militaire, se porter volontaire signifie que le jeune homme choisit de rejoindre l’armée avant d’être conscrit ou mobilisé, motivé par l’initiative personnelle et le patriotisme. Pour Claude, ce choix est un acte de courage et d’autonomie, malgré le danger extrême.

Sous occupation allemande, rester à Lille aurait signifié pour Claude un risque permanent d’envoi forcé en Allemagne. Sa mère, Marguerite Delemer, connaissant des réseaux de résistance liés à Louise de Bettignies, organise avec soin son évasion (récit de Thérèse Saint-Léger).

Du 23 août au 14 septembre 1915, à 18 ans, Claude quitte Lille en trompant la surveillance policière. Déguisé sous le nom de Claude De la Valette, pour protéger sa famille, il traverse la Belgique à pied de nuit, accompagné de son cousin Max Descamps. Trois tentatives sont nécessaires avant de franchir la frontière hollandaise. La traversée du canal de Gand à Terneuzen, à la nage, constitue un moment critique : les patrouilles allemandes tirent à vue, des barbelés et des barrages électrifiés compliquent l’entreprise. Les gardes hollandais, respectant la neutralité de leur pays, le récupèrent et l’aident à rejoindre l’Angleterre.

« Après plusieurs tentatives, trompa la surveillance de ces patrouilles en traversant à la nage le canal de Gand à Terneuze pour passer en Hollande et de là gagner l’Angleterre. » (Citation Croix de Guerre, colonel Barry, 32ᵉ Dragons)

« À Gand il y avait un passeur qui l'attendait, et qui indiqua le canal de Gand à Terneuzen. Il fallait le franchir à la nage la nuit, mais les sentinelles allemandes tiraient vite. Il arriva à passer et les Hollandais l'aidèrent à gagner l'Angleterre. » (Agnès Wattinne)

Cette évasion illustre non seulement le courage physique de Claude, mais aussi sa détermination et sa prudence : il choisit soigneusement ses routes, utilise des papiers d’identité falsifiés, et évite les zones de patrouilles. La correspondance de tante Hélène montre également l’inquiétude de la famille et les mesures prises pour lui fournir argent et vêtements lors de son parcours.

Engagement militaire et formation

De Hollande, il part en Angleterre, pour rejoindre la France. Claude s’engage dans le 32ᵉ Régiment de Dragons. Pendant la Première Guerre mondiale, les régiments de dragons, traditionnellement cavalerie, combattaient surtout à pied dans les tranchées, tout en conservant leur rôle de reconnaissance et d’attaques rapides lorsque le terrain le permettait. Ils restaient des unités prestigieuses, formées à la fois au combat mobile et au commandement sur le terrain.

Il suit ensuite l’école militaire de Saint-Cyr en 1916, qui forme les officiers de l’armée française. Saint-Cyr était une institution prestigieuse où l’on enseignait la tactique, la discipline, et le commandement, préparant les jeunes hommes à devenir aspirants ou lieutenants.

Le front et les combats

La période 1916-1917 est marquée par des offensives massives et sanglantes (Verdun, Somme, Champagne), où les gains territoriaux sont très limités. La guerre combine désormais artillerie lourde, combats de tranchées, gaz, mitrailleuses et petites actions tactiques, ce qui transforme les soldats en experts de la discipline, de la coordination et de la survie dans des conditions extrêmes.

Claude Saint-Léger arrive sur le front le 21 mai 1916, à un moment où la guerre s’enlise dans une guerre de position caractéristique du conflit sur le front occidental. Les lignes sont fortement défendues par des tranchées, des barbelés et des réseaux de mitrailleuses, et les attaques directes entraînent souvent de lourdes pertes. La bataille de Verdun, commencée en février 1916, mobilise déjà des centaines de milliers d’hommes, tandis que la préparation de la bataille de la Somme, qui débutera en juillet 1916, se met en place.

Claude est d’abord affecté au 32ᵉ Régiment de Dragons, le 20 octobre 1915, puis promu aspirant et transféré au 26ᵉ Bataillon de Chasseurs à Pied, unité d’infanterie légère spécialisée dans les combats difficiles et les reconnaissances. Son rôle consiste à conduire des sections d’infanterie et de mitrailleuses, participer à des assauts et tenir des positions face à l’ennemi.

Entre le 20 juin et le 26 juin 1916, Claude suit un stage intensif au camp de Crèvecœur, où il s’entraîne aux manœuvres, tirs, reconnaissance et vie en tranchée. Ce camp prépare les troupes aux grandes offensives à venir, notamment Verdun et la Somme, où la guerre consiste à avancer lentement face à des lignes fortement fortifiées. Les bivouacs et rotations en ligne servent à habituer les soldats à l’exposition prolongée au danger et à la fatigue extrême. Juin 1916 est juste avant la bataille de la Somme (juillet-novembre 1916).

Les lettres de Claude témoignent de l’intensité de cette formation et de son souci de rester en contact avec sa famille, malgré les contraintes :

« Je suis fort occupé actuellement on nous fait faire un entraînement vraiment formidable : depuis 15 jours, nous allons être affecté au 6ème régiment.
Les jours où nous ne changeons pas de cantonnement, ce sont des 10h de cheval.
Nous nous levons souvent avant le jour ; enfin dès qu’il y a un instant de libre, je dors ou je mange, ou j’astique, aussi j’ai bien peu de temps pour écrire. Je vois sans cesse des camarades d’Alfred et je le verrai probablement un de ces jours car nous sommes tout à fait ensemble. » (29 juin 1916)

Entre novembre 1916 et mai 1917, Claude alterne entre secteurs au front comme Tracy-le-Val, Coucy, et la forêt de Genlis, subissant des tirs d’artillerie réguliers, des bombardements au gaz et des pertes humaines fréquentes. Ces mouvements traduisent la guerre de position : les unités ne se déplacent pas sur de grandes distances mais s’installent pour tenir un front, améliorer les tranchées, et préparer des offensives locales.

« Il vécut beaucoup dans les tranchées, avec des rats et dans la boue, des bombardements journaliers, beaucoup de blessés, de morts. Cela pendant 3 ans.

Je lui ai demandé s'il s'était servi de sa baïonnette. Il m'a répondu : "oui, dans un petit village de Champagne, près de Verdun. On tentait de reprendre un village, et à un coin de rue, je me suis trouvé en face d'un allemand, je l'ai transpercé de ma baïonnette."

Je lui ai demandé quel effet cela lui avait fait. Il m'a répondu : "cela rentre mou". Enfin la guerre s'arrêta en Novembre 1918. » (Agnès Wattinne)

Les périodes au front alternent avec des temps de permissions qu’il fait à Pau.

Le 05 novembre 1917 : Il réalise un « Coup de main contre les Allemands ». Les « coups de main » sont des attaques rapides visant à capturer des tranchées ou des prisonniers, ou à récolter des informations sur l’ennemi. Ce type d’opération illustre le mélange de stratégie et de tactique nécessaire pour progresser dans un contexte où l’artillerie, les mitrailleuses et les gaz rendent les assauts extrêmement dangereux.

Exposition aux nouvelles armes : Claude est confronté à l’usage systématique des obus à gaz, une arme chimique devenue courante après 1915. Le secteur droit de Coucy, en novembre 1917, connaît ces attaques, obligeant les soldats à porter des masques et à s’adapter aux nouvelles conditions de combat.

Malgré ces conditions éprouvantes, Claude se distingue par son courage et son leadership :

« Jeune aspirant d’une énergie et d’un courage exemplaire. Le 24 septembre 1918 a entraîné sa section à l'assaut des lignes ennemies, l’a installé dans la position conquise malgré de violents tirs d'artillerie et de mitrailleuses. » (26ᵉ BCP)

« S'est particulièrement distingué comme chef de section de mitrailleuses le 5 novembre 1918, à la prise du village de L___. Adjoint à la compagnie de tête par son audace et l’emploi judicieux de ces pièces… » (26ᵉ BCP)

Ces citations montrent que Claude ne se contente pas de suivre les ordres : il prend des initiatives, protège ses hommes et s’adapte aux conditions extrêmes du front. Blessé au pied par un éclat d’obus, il reprend le service après convalescence, illustrant la résilience demandée à tous les soldats sur ce front meurtrier.

Distinctions et reconnaissance

Pour sa conduite exemplaire, Claude reçoit la Croix de Guerre avec cinq citations (32ᵉ Dragons) et, plus tard, la Légion d’Honneur à titre militaire (décret du 13 mars 1933). Ces distinctions reconnaissent non seulement son courage, mais aussi son initiative, sa capacité à commander et sa loyauté envers la France :

Photo d'identité de Claude, vers la fin de la 1° guerre mondiale
Photo d'identité de Claude, vers la fin de la 1° guerre mondiale

Hélène : un soutien essentiel pendant la guerre

Dans les premiers mois au front, Claude vit dans l’incertitude permanente. Sa famille est à Lille, en zone occupée, coupée du reste de la France : pas de courrier direct, pas de nouvelles fiables. C’est Hélène De la Valette, sa tante et sa marraine, qui devient alors son point d’ancrage, presque une seconde mère, et qui lui écrit régulièrement, notamment en 1916.

Elle ne lui transmet pas seulement des colis ou des nouvelles, elle veille sur lui affectivement, avec une autorité bienveillante. Pendant que les combats se préparent, Hélène devient sa seule voix familiale.

Des gestes simples, mais vitaux dans une guerre où les permissions sont rares et les conditions de vie très dures. Ses lettres forment une ligne de vie qui relie Claude à une normalité qu’il ne connaît plus.

Le Vest Pocket Kodak offert par Hélène
Le Vest Pocket Kodak offert par Hélène

L’argent et la survie matérielle

En 1916-1917, un soldat vit avec presque rien : la solde est faible, les déplacements fréquents, et il faut acheter du linge, réparer l’équipement, parfois même se nourrir en supplément, surtout quand il passe d’un secteur à l’autre — Crèvecœur, Tracy-le-Val, Coucy — parfois dans des conditions très dures.

Dans ce contexte, il demande régulièrement de l’argent, 50 à 100 francs, soit un à deux mois de solde, d’un ton simple et direct.

Au front, un soldat ne peut rien planifier ; son quotidien dépend de ce qu’il a sur lui et de ce que la famille envoie.

Les permissions à Pau : un retour à la vie civile

Les permissions à Pau, en décembre 1916, puis mai 1917, représentent pour Claude des parenthèses rares dans une guerre qui n’en offre presque jamais. Pau est alors un centre important de repos pour les soldats, loin du front de l’Aisne et de la Somme. On y retrouve des hôpitaux, des foyers du soldat, et des lieux où les militaires peuvent souffler quelques jours avant de repartir.

Claude écrit peu sur ces permissions, mais elles arrivent à des moments critiques : après des mois passés à Tracy-le-Val, ou juste avant de retourner dans le secteur de Coucy, où il subira les obus à gaz.

C’est un retour au monde des vivants, bref et fragile. Ces permissions à Pau sont essentielles pour tenir psychologiquement. Elles marquent les respirations indispensables d’un soldat qui, entre offensives, marches forcées et gaz, se trouve plongé en permanence dans un monde de mort.

Conclusion

Cette première période de la vie de Claude Saint-Léger illustre son engagement précoce et volontaire, sa formation rigoureuse, et ses actes de bravoure sur le front.

Claude est démobilisé à 21 ans, avec l’armistice le 11 novembre 1918.

Sources

Claude Saint-Léger, par Agnès Wattinne
Récit de Thérèse, sa fille
1916-1917 Carnet de route militaire - Claude Saint-Léger

Citations militaires

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Lien vers les citations militaires 2

Lien vers les citations militaires 3

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Lien vers les citations militaires 5

Lien vers les citations militaires 6

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