Lettre d'André Saint-Léger à Agnès Wattinne du 20/08/1947. André a 77 ans, Agnès a 43 ans)
Ma chère Annie,
Vous avez exprimé le désir d'avoir quelques détails et renseignements sur la vie de mes ancêtres, je vais tâcher de mettre sur cette lettre mes souvenirs, quoique ce soit assez vague, je vais tâcher de vous donner des renseignements assez exacts.
Mon père GEORGES SAINT-LEGER était un homme un peu triste. Sans beaucoup de vie, mais d'un caractère doux et charmant, très distrait, il vivait comme une machine, il allait à son bureau toute la journée, il était très économe. Le soir il ne parlait presque pas, sa seule distraction était la lecture. Son usine était dans Lille, 32 rue des Tours à Lille. Cette usine a été vendue par mon frère et par moi au Mont de Piété, elle avait été construite vers 1800. À cette époque, nous avions remplacé cette vieille usine par une filature de lin à la Madeleine. Il est mort très jeune à 54 ans. Il repose au cimetière de l'Est dans une chapelle construite par ma mère. Ma mère (NDLR : Amélie Longhaye) que vous avez connue est morte bien après votre mariage. Étant aussi très aimable et douce, mais d'un caractère un peu enfantin, elle aimait le luxe et ne parlait que d'elle. Elle était un peu ennuyeuse. Elle est morte à 82 ans. Ils habitaient une grande maison Louis XV au coin de la rue Royale et de la rue Léonard.
Ils avaient une propriété très jolie qu'on habitait l'été, car on allait peu aux bains de mer. À cette époque c'était le château de Verlinghem. Sa mère Mme Auguste Longhaye (NDLR : née Virginie Van de Weghe, mère d'Amélie Longhaye) était une femme autoritaire qui avait une immense maison 6 bd Vauban, il y avait de nombreux galons, elle passait son temps à recevoir, nous étions obligés d'y dîner deux fois par semaine et ne pouvions pas y manquer sans sa permission. Elle est morte vers 80 ans. Elle est enterrée comme ma mère au cimetière de l'Est.
VICTOR SAINT-LEGER, père de Georges Saint-Léger, était un homme énergique et autoritaire, il fit beaucoup de politique, il était vice-président du Conseil Général, il avait des idées avancées pour l'époque, très républicain sous l'Empire. Il fut nommé, après la chute de Napoléon III, colonel de la Garde nationale, dans l'armée qui fut fondée pour défendre la France à la création de la 1ère République. Ayant eu une discussion en public au Conseil Général avec son ami le Baron des Rotours, il le provoqua en duel et blessa très gravement son adversaire. Quelques jours après, désolé d'avoir blessé son ami, il partit pour se distraire faire un voyage en Italie, il tomba gravement malade et mourut chez lui, 15 bd de la Liberté, dans une maison qu'il avait fait construire. Il avait environ 55 ans et est mort en 1871. Il est enterré au cimetière de l'Est.
N.B. : La Garde Nationale était une armée de volontaires dans le genre des FFI actuels.
PHILIPPE SAINT-LEGER, père de Victor Saint-Léger, habitait dans son usine, 32 rue des Tours à Lille. Il s'est beaucoup occupé de politique comme son fils. On le disait très instruit, il a même je crois écrit quelques livres sur ses idées de liberté, car il était très républicain et contre la monarchie. Il avait des réunions avec les grands hommes de l'époque qui désiraient le renversement de la monarchie. Il connaissait Chateaubrillant, M. Thiers, le Général Cavaignac. Il créa avec eux le fameux banquet de la Réforme dont il était le président et qui amena la révolution de 1830. Il avait, je crois, un ou deux frères. Ils sont tous enterrés au cimetière de la Madeleine. Pour ce qui est de son frère qui fut officier dans les armées de Napoléon Ier, vous trouverez des renseignements plus justes dans les vieux papiers que vous avez chez vous.
Je n'ai pas grand-chose à dire sur les épouses des vieux messieurs Saint-Léger, ma mère (NDLR : Amélie Longhaye) et mes grand'mères étaient des femmes simples et bonnes, mais il semble qu'elles étaient surtout de bonnes mères de famille. La seule qui avait un très grand charme, intelligente et drôle, c'était la grand-mère Mariage Bonte (NDLR : née Justine Bonte) qui était la mère de Victor Saint-Léger (NDLR : la belle-mère de Victor ?). Elle avait vécu à une époque extraordinaire. Elle était née en 1804 et est morte à 99 ans. Elle avait vu le 1er Empire, deux révolutions, le 2ème Empire et la République. Elle avait servi le café à Napoléon Ier en 1814. Son père Bonte Pollet (NDLR : Pierre Joseph Bonte Pollet) a été représentant du peuple (député) et maire de Lille. Elle a eu 3 enfants : Édouard, qui est mort vieux garçon dans leur propriété de Branleux, Clémence, femme de Victor Saint-Léger, Adèle qui a épousé dans le pays de Branleux un brasseur qui s'appelait Goulu, elle est morte folle.
Quelques renseignements sur les hommes du côté maternel.
1°) Le grand-père Longhaye (NDLR : Auguste Longhaye), père de ma mère Amélie Longhaye, avait épousé Mlle Van de Weghe. Ils eurent 4 filles : Madame Descamps, Mme Calary de la Mazières, Mme Georges Saint-Léger, Mme Allègre. Il avait une maison de commerce place de la Gare, il fit des affaires de fils et de lins qui furent très prospères, c'est à présent la Maison Descamps Longhaye.
2°) Le grand-père Bonte Pollet (NDLR : Pierre Joseph Bonte Pollet), père de Mme Mariage Bonte, était, paraît-il, remarquable. Il fut maire de Lille et représentant du peuple. Il avait beaucoup voyagé, il avait une chaise de poste particulière, il est allé en Russie et faisait le voyage de Paris très souvent où ses enfants étaient en pension et elles étaient habillées chez les grands couturiers à Paris. Il est mort dans sa propriété de Branleux, tué par un tonneau. Cette propriété était située à Colleret près de Jeumont (Nord).
J'oublie le grand-père Mariage (NDLR : Louis Mariage), mari de bonne-maman Mariage que j'ai très bien connu, il n'a laissé aucun souvenir. Sa femme disait de lui : "Mariage, c'est un 0", et elle n'en parlait jamais. Il est mort en 1888.
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